Réf : CE, 20 novembre 2020, Association Trans’Cub et autres, req. n° 428156, mentionnée aux tables Lebon
Cette décision du 20 novembre 2020, « Association Trans’Cub » mérite d’être remarquée car elle dégage une solution en contentieux des contrats publics (qui était amorcée par la Cour d’appel administrative de Douai), en complétant son architecture, s’agissant de la contestation des avenants aux contrats conclus avant le 4 avril 2014.
Sous les conclusions de Madame le rapporteur publique, Mireille LE CORRE (accessible sur « arianeweb », le Conseil d’Etat est venu préciser que :
« En vertu de la décision n° 358994 du 4 avril 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, la contestation de la validité des contrats administratifs par les tiers doit faire l'objet d'un recours de pleine juridiction dans les conditions définies par cette décision. Toutefois, cette décision a jugé que le recours ainsi défini ne trouve à s'appliquer qu'à l'encontre des contrats signés à compter du 4 avril 2014, date de sa lecture, la contestation des contrats signés antérieurement à cette date continuant d'être appréciée au regard des règles applicables avant cette décision. Dans le cas où est contestée la validité d'un avenant à un contrat, la détermination du régime de la contestation est fonction de la date de signature de l'avenant, un avenant signé après le 4 avril 2014 devant être contesté dans les conditions prévues par la décision n° 358994 quand bien même il modifie un contrat signé antérieurement à cette date ».
La décision pouvait ne pas aller de soi car il aurait pu être retenu une solution qui consistait à ne pas distinguer le régime du contentieux en fonction de la date de signature de l’avenant, afin d’unifier le régime contentieux pendant la vie du contrat, et que ce qui importait était la date de la signature du contrat et non de l’avenant. En d’autres termes, il aurait pu être jugé que, eu égard à la date de signature du contrat de concession, soit avant l’application de la jurisprudence Tarn et Garonne, les actes détachables du contrat et de leurs avenants ne peuvent faire l’objet que d’un recours pour excès de pouvoir tendant à leur annulation, quelle que soit la date de signature de l’avenant.
La Haute juridiction a préféré retenir des régimes contentieux distincts entre contrat et avenants, pour les cas dans lesquels l’avenant est postérieur au 4 avril 2014.
En l'espèce, les délibérations litigieuses relevaient du contentieux de l’excès de pouvoir dirigé à l’encontre des actes détachables du contrat. Datant de 2006, 2009 et 2012, elles autorisaient le Président à signer les avenants dont la signature était antérieure au 4 avril 2014. Eu égard à la date de conclusion de ces avenants, elles constituent, avec la décision refusant de les retirer (prise sur recours gracieux), des actes détachables du contrat de concession susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
A l’inverse, donc : la contestation des avenants signés après le 4 avril 2012 relève du contentieux de pleine juridiction en contestation de sa validité, quand bien même il modifie un contrat signé antérieurement à cette date (ce principe avait fait l’objet d’une première application par la Cour Administrative d’Appel de Douai (CAA Douai, 3 mai 2018, req. n°15DA01301 : « et alors même que le contrat initial est antérieur à la lecture de la décision précitée du 4 avril 2014 du Conseil d’Etat, les principes énoncés au point 1 s’appliquent à l’occasion d’un recours dirigé contre un avenant qui a été signé postérieurement à cette date"). On attendait sa consécration par une jurisprudence du Conseil d’Etat.
Pour ces avenants signés après le 4 avril 2012, le délai de recours est donc deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.
La passation de certains avenants est soumise à l’obligation de publier un avis modification (l’acheteur pour les marchés passés selon une procédure formalisée ou l’autorité concédante, pour les contrats de concession ne relevant pas de règles particulières en matière de passation, doit publier un avis de modification du marché public ou du contrat de concession au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) dans les deux cas suivants : - pour les travaux ou services supplémentaires en cas de contrat de concession, pour les travaux, fournitures ou services supplémentaires en cas de marché public ; - lorsque des modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues).
Pour ces avenants, nous pouvons légitimement penser que la publication de ces avis fait, à juste titre, courir les délais de recours. Rappelons à cette occasion un récent arrêt par lequel le Conseil d’Etat a considéré que si la publication d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi permet de faire courir le délai de recours contre le contrat, la circonstance que l'avis ne mentionnerait pas la date de la conclusion du contrat est sans incidence sur le point de départ du délai qui court à compter de cette publication (CE, 3 juin 2020, req. n° 428845).
Pour les autres catégories d’avenants, la publicité « appropriée » de la signature devra se faire par l’affichage de la délibération autorisant sa signature (pour les cas où une telle délibération est nécessaire, ce qui peut ne pas être le cas en marchés publics, où le maire ou le président peut avoir reçu délégation d’attribution en matière d’exécution de marché), ainsi que les modalités de consultation.
Une grande attention doit donc toujours être portée aux modalités de publicité de la signature des avenants, et la construction jurisprudentielle n’est pas achevée… reste à savoir si le Conseil d’Etat confirmera le sens de décisions de certains Tribunaux tendant à consacrer l’application de la jurisprudence « Czabaj » de 2016 au contentieux contractuel « Tarn et Garonne » (sécurité juridique au service du contentieux contractuel – recours dans un délai raisonnable d’un an).
Enfin, pour le contentieux de ces actes détachables des avenants signés avant le 4 avril 2014, il est vain et inopérant de soulever, par une substitution de motifs, l’irrecevabilité du recours en application de l’arrêt de principe Transmanche de 2017 (CE Sect., 30 juin 2017, syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT), req. N° 398445, publié au rec. CE), pourtant d’application immédiate, et qui ferme la voie du recours pour excès de pouvoir aux tiers, dès lors que ces dernier dispose du recours en pleine juridiction contre le refus de faire droit à une demande de mettre fin à l’exécution du contrat. Sur ce point de contentieux, le Conseil d’Etat rejette l’argument motifs pris de ce que les conclusions dont le juge est saisi, tendent non pas à proprement parler d’une demande à la résiliation du contrat, mais d’une demande à l'annulation de la délibération qui a décidé de la poursuite de l'exécution du contrat au-delà de la durée maximale de vingt ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 2 février 1995. Par suite, ce motif ne peut être substitué aux motifs retenus par l'arrêt attaqué.
… Ce rejet est bienvenu pour le requérant, car accepter cette requalification des conclusions aurait conduit à le piéger en l’enfermant dans une irrecevabilité, à partir du moment où il est jugé que c’est bien la voie du REP qui lui était toujours ouverte.
L’affaire est renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux pour être jugée sur le fond… Il faudra veiller au prononcé de l’arrêt, qui traite de la question de la légalité d’un avenant qui maintient la durée d’un contrat de concession au-delà de la durée permise par l’arrêt Commune d’Olivet, ou pour le dire autrement, de l’inertie de l’administration à constater la caducité d’un contrat, dont la durée « excède la durée maximale autorisée par la loi, et qui ne peut plus être régulièrement mise en œuvre au-delà de la date à laquelle cette durée maximale est atteinte ».