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Action en paiement direct du sous-traitant contre le maître d’ouvrage délégué : un cas d’ouverture spécifique de recours des tiers à l’encontre du mandataire

Réf : CE, 18 septembre 2019, SEMSAMAR, req. 425716, mentionnée dans les tables du recueil LEBON

Cette décision mérite d’être remarquée car les sous-traitants, qui ont indéniablement une place importante dans l’exécution des contrats publics, ont souvent peine à faire valoir leurs droits. Elle s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle favorable au sous–traitant (cf. par. ex. CE, 27 janvier 2017, Sté Baudin Châteauneuf).

La décision du Conseil d’Etat du 18 octobre 2019 « SEMSAMAR » reconnait que, dans le cas où le mandat de maîtrise d’ouvrage confie au mandataire (le maître d’ouvrage délégué) le versement des rémunérations des entreprises, le sous-traitant peut exercer l’action en paiement direct à l’encontre du maître d’ouvrage délégué, qui peut être condamné solidairement avec le maitre d’ouvrage, à payer les sous-traitants.

Avec cette décision, on se situe à la croisée des chemins entre la mise en œuvre du droit au paiement direct des sous-traitants et le régime juridique du mandat de maîtrise d’ouvrage publique qui implique que, à l’égard des tiers, la responsabilité du mandataire ne peut pas être recherchée.

Une explication s’impose…

 

Le mandat de maîtrise d’ouvrage (L.2422-5 du Code de la Commande publique) est un contrat de représentation : Le mandataire (ou maître d’ouvrage délégué) est juridiquement transparent.

Le mandataire accomplit tous les actes juridiques nécessaires à l’accomplissement du projet au nom et pour le compte du mandant (le maître de l’ouvrage) : signature des avenants, acceptation des sous-traitants, suivi de l’exécution du chantier…

Si le mandataire reçoit une mission complète (cf. art. L.2422-7 du Code de la Commande publique), il est alors chargé « du versement de la rémunération des entreprises et des maitres d’œuvre ».

Vis-à-vis des tiers, le mandant (maître d’ouvrage) est lié par les actes accomplis par le mandataire. De telles sorte que les fautes commises par le mandataire lui sont opposables et lui sont imputables.

Ainsi, la responsabilité du mandataire est limitée et interdit en principe toute solidarité du mandataire. A l’égard des tiers, seule la responsabilité du maître de l’ouvrage peut être recherchée : les principes de la responsabilité limitée du mandataire ont été posés dans la décision du 26 septembre 2016, Sté Dumez Ile de France, req. . °390515, où le Conseil d’Etat énonce que :


« il appartient aux constructeurs, s'ils entendent obtenir la réparation de préjudices consécutifs à des fautes du mandataire du maître d'ouvrage dans l'exercice des attributions qui lui ont été confiées, de rechercher la responsabilité du maître d'ouvrage, seule engagée à leur égard, et non celle de son mandataire, y compris dans le cas où ce dernier a signé les marchés conclus avec les constructeurs, dès lors qu'il intervient au nom et pour le compte du maître d'ouvrage, et n'est pas lui-même partie à ces marchés ; que, le cas échéant, le maître d'ouvrage dont la responsabilité est susceptible d'être engagée à ce titre peut appeler en garantie son mandataire sur le fondement du contrat de mandat qu'il a conclu avec lui ; que la responsabilité du mandataire du maître d'ouvrage à l'égard des constructeurs, qui ne peut jamais être mise en cause sur le terrain contractuel, ne peut l'être, sur le terrain quasi-délictuel, que dans l'hypothèse où les fautes alléguées auraient été commises en-dehors du champ du contrat de mandat liant le maître d'ouvrage et son mandataire ; qu'en revanche, les constructeurs ne sauraient rechercher la responsabilité du mandataire du maître d'ouvrage en raison de fautes résultant de la mauvaise exécution ou de l'inexécution de ce contrat ».

Cependant, la décision commentée ne se situe pas sur le terrain de la responsabilité, mais sur celui de l’action en paiement direct prévue par la loi du 31 décembre 1975, codifiée L.2193-11 du CCP.
La décision se justifie par le fait que l’action en paiement directe n’est pas une action en responsabilité (ni contractuelle, ni quasi-délictuelle). L’action en paiement directe est un droit, une voie de droit.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux avait déjà jugé que le maître d’ouvrage délégué dont la mission comporte le versement des rémunérations des entreprises peut être condamné personnellement à régler directement le sous-traitant (CAA Bordeaux, 28 octobre 2008, Société SEMSAMAR, req. n°07BX00613).

Le Conseil d’Etat vient ici confirmer cette jurisprudence, et en l’espèce dans le cadre d’un référé provision (procédure de référé – généralement sans audience - où la provision est accordée si et seulement si la créance n’est pas sérieusement contestable).

La haute juridiction énonce que « l’obligation de payer les prestations réalisées par un sous-traitant accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées incombe au maître d’ouvrage. En cas de désaccord sur les sommes dues, le sous-traitant peut engager devant le juge administratif si le contrat principal est administratif, une action en paiement direct dont l’objet n’est pas de poursuivre sa responsabilité quasi délictuelle, mais d’obtenir des sommes qu’il estime lui être dues ».

Aussi, « le juge saisi d’une action en paiement directe par un sous-traitant, peut mettre à la charge du mandataire le versement des sommes éventuellement dues si et dans la mesure où il résulte de l’instruction que ce versement est au nombre des missions qui incombent au mandataire en vertu du contrat qu’il a conclu avec le maître d’ouvrage ».

S’il est chargé, au titre du mandat de maîtrise d’ouvrage de verser les rémunérations des entreprises, le mandataire peut être condamné solidairement avec le maître d’ouvrage à payer les sous-traitants acceptés et dont les conditions de paiement ont été agréés.

Si, en exécution de la condamnation in solidum, c’est le maître d’ouvrage qui paye le principal et les intérêts : il appartiendra au maitre d’ouvrage de rechercher la responsabilité contractuelle du mandataire : en cas de retard ou de carence à mandater un paiement, les sommes dues aux entreprises génèrent un préjudice d’intérêts moratoires… qui doit pouvoir être réparé.

Écrit par : Fmichel

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