Attention à la cotraitance « Alibi » : Au sein des groupements candidats, les Acheteurs publics doivent veiller au respect des règles régissant les professions réglementées dans la répartition des tâches

Référence : CE, 4 avril 2018, Sté ALTRACONSULTING, req. N°415946, sera publié aux Tables Rec. CE

Il n’est pas rare que des acheteurs publics engagent des consultations en vue de l’attribution de marchés publics d’assistance pluridisciplinaire (technique, juridique, financière..) en particulier pour des missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) en vue de la réalisation de projets publics ou de la gestion d'un service public.
On sait que le Juge Administratif a jugé que, dès lors que les prestations juridiques ne peuvent être délivrées que directement par les professionnels qui disposent des qualifications requises par l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971, cela implique ils soient cotraitants du marché à l’exécution duquel ils doivent participer et donc qu’ils signent l’acte d’engagement (CAA Lyon 18 juin 2015, Communauté de communes de Val Vanoise, n°14LY02786). Par là même, le juge administratif a sanctionné, ce qui était malheureusement constaté , la sous-traitance « alibi » portant sur une mission de simple validation des documents préparés par la société attributaire et pour un montant souvent dérisoire, et surtout disproportionné aux enjeux en cause et contraire à la loi du 31 décembre 1971.


Dans l’arrêt du 4 avril 2018, le Conseil d’Etat va plus loin. Dès lors que dans un groupement d’opérateurs économiques, qu’il soit conjoint ou solidaire, la solidarité fonctionnelle n’existe pas entre ces membres, ces professionnels du droit ne doivent pas seulement être membre du groupement, ils doivent obligatoirement être identifiés comme tels dans la répartition des missions qu’ils s’engagent à exécuter.
Le Conseil d’Etat vient ici sanctionner la « co-traitance - alibi », pour permettre à l’acheteur public de vérifier que les candidats ne viennent pas contourner la règlementation en intégrant dans un groupement des personnes dont la seule contribution est d’être présente afin « d’afficher » ses capacités techniques et professionnelles :
« Considérant qu’il appartient au pouvoir adjudicateur, dans le cadre de la procédure de passation d’un marché portant sur des activités dont l’exercice est réglementé, de s’assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer. Que tel est le cas des consultations juridiques et de la rédaction d’actes sous seing privé qui ne peuvent être effectuées à titre habituel que par les professionnels mentionnés à l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971. Que toutefois, lorsque les prestations qui font l’objet d’un marché n’entrent qu’en partie seulement dans le champ d’activités réglementées, l’article 45 du décret autorise les opérateurs économiques à présenter leur candidatures et leur offre sous forme d’un groupement conjoint, dans le cadre duquel l’un des cotraitants possède les qualifications requises ; ainsi, pour un marché relatif à des prestations ne portant que partiellement sur des consultations juridiques ou la rédaction d’actes sous seing privé, il est loisible à un opérateur économique ne possédant pas les qualifications requises de s’adjoindre, dans le cadre d’un groupement, en tant que cotraitant, le concours d’un professionnel du droit, à la condition que la répartition des tâches entre les membres du groupement n’implique pas que celui ou ceux d’entre eux qui n’a pas cette qualité soit nécessairement conduit à effectuer des prestations relevant de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 ».
Pour les opérateurs économiques répondant en groupement, si l’opérateur affecté à la mission relevant du périmètre du droit n’est pas identifié dans l’offre, alors celle-ci serait irrégulière.
La portée de l’arrêt va bien au-delà du périmètre du droit. Sont concernées toutes les professions réglementées (architectes - pour lesquels l’article 35 bis de l’Ordonnance et le Décret n° 2017-842 du 5 mai 2017 portant adaptation des missions de maîtrise d'œuvre aux marchés publics globaux exigent déjà d’identifier l’équipe de maîtrise d’œuvre et les missions -, les huissiers, les experts comptables…).

Conseil aux acheteurs :
Comment s’y prendre? Pour l’acheteur, il doit exiger dans les documents de la consultation :
- au titre du niveau minimal de capacité, une habilitation à délivrer des conseils juridiques conformément aux articles 54 et 55 de la Loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
- que certaines tâches essentielles soient effectuées par l’un des membres du groupement » (art. 45 VI, Décret n°2016-360) ;
Pendant l’exécution du marché, il est de bonne pratique de rappeler, notamment dans le CCAP, que la bonne exécution du marché requiert que le Titulaire mette à disposition une équipe identifiée et que les prestations juridiques doivent être impérativement réalisées par un professionnel du droit. Et qu’en cas de changement par le titulaire du marché de l’équipe identifiée, il doit en informer l’Acheteur dès qu’il a connaissance du changement et doit s'engager à présenter des personnes possédant les compétences et la qualification requises pour assurer l'exécution des prestations dans les conditions décrites à l’appui de son offre, sous peine de résiliation.
Conseil aux opérateurs économiques :
Du côté des candidats, on rappellera également que il incombe également à chaque candidat à un marché public de respecter la législation applicable à sa profession, sans que l’acheteur ait à le rappeler dans l'avis d'appel à concurrence (CE 7 mars 2005, COMMUNAUTE URBAINE DE LYON, req. N°274286).
Cela étant, outre la fourniture des pièces exigées au titre de la candidature, il est recommandé de :
- dans le DC1, mentionner la répartition des tâches, à la rubrique E « prestations exécutées par les membres du groupement ». A notre sens, il ne suffit pas mentionner « prestations juridiques », la position du Conseil d’Etat implique de détailler les prestations qui seront réalisées par le professionnel du droit ;
- dans l’acte d’engagement, préciser la répartition des tâches ainsi que le montant des prestations correspondant à cette répartition.
- Dans le mémoire technique, détailler les missions confiées à ce professionnel et les modalités : interlocuteur, contact direct, présence aux réunions…