Marché public : notion de « contrat à titre onéreux » et subvention « déguisée »

Arrêt : CJUE, 18 octobre 2018, IBA c/ Région de Vénétie (Italie), aff. C-606/17

Dans cette affaire, la région de Vénétie a conclu, en dehors de toute procédure de publicité et de mise en concurrence, un contrat avec une structure religieuse de droit privé participant au système public de programmation de la santé, au terme duquel, cette dernière s’engage à produire et à distribuer gratuitement un médicament aux hôpitaux régionaux, moyennant le paiement par ces derniers de frais de livraison forfaitaires. La région versait à l’entité privée une subvention de 700 000 euros intégralement affectée à la production de ce médicament.


La CJUE devait s’interroger sur la question de savoir si l’octroi de cette subvention affectée à la production et à la distribution de ce médicament conférait au contrat un caractère onéreux, faisant basculer le montage contractuel dans le champ d’application de la Directive 2004/18 « Marchés publics » (aujourd’hui abrogée). On précise d’ores et déjà que la solution est identique sous le régime de la Directive n°2014-24 du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics qui définit le marché public notamment par le critère d’onérosité (art. 2-1-5° : « on entend par «marchés publics», des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services »).

La réponse est positive.
Pour apprécier le caractère onéreux, il faut se placer du côté de l’acheteur public, mais pas uniquement…

Ainsi, il y a onérosité, et donc marché public, lorsque il y a un échange, un enrichissement du patrimoine d’une des parties au détriment de l’autre. Il en est ainsi, pour le paiement d’un prix, un abandon de recettes domaniales, une rémunération par un tiers, une rémunération en nature, une recherche d’économie, y compris fiscales, le remboursement même partiel de frais… ces situations sont connues et traditionnelles.

En droit communautaire, le caractère onéreux d’un contrat se réfère à la contre-prestation à laquelle procède l’autorité publique, en raison de l’exécution de prestations qui font l’objet du contrat et dont cette autorité aura le bénéfice…. Et ici, le bénéficie est indirect.

Il ne suffit pas de se placer du côté de l’acheteur public (celui qui reçoit la prestation), mais d’examiner la finalité du financement. La CJUE fait sienne une interprétation finaliste du caractère onéreux : celui-ci est établi lorsque l’opérateur qui assure la fourniture du bien en cause reçoit un avantage économique significatif d’une administration publique autre que le pouvoir adjudicateur et qu’il est raisonnable de penser que ce financement est précisément affecté à la fourniture de ce bien.
« La notion de « contrats à titre onéreux » englobe la décision par laquelle un pouvoir adjudicateur attribue directement à un opérateur économique déterminé, et donc sans organiser de procédure de passation d’un marché public, un financement intégralement affecté à la fabrication de produits devant être fournis gratuitement par celui-ci à différentes administrations qui sont exemptées du paiement de toute contrepartie audit fournisseur, à l’exception du versement à titre de frais de livraison, d’une somme forfaitaire ».

S’agissant de l’attribution de subvention, le sujet a toujours été délicat pour le distinguer d’une « prix ».
Par le paiement d’un prix, il est satisfait à un besoin moyennant une contrepartie onéreuse.
Une subvention est l’encouragement d’un projet d’intérêt général initié par un opérateur.

C’est ainsi que l’article 7 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relatives aux marchés publics précise que ne sont pas des marchés publics les subventions au sens de l’article 9-1 de la loi du 12 avril 2000.
Une citation de l’article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 s’impose :
« Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l'acte d'attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d'un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires.
Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent.».

Dès lors que l’aide versée est destinée à l’accomplissement d’une tâche (produire le médicament et le fournir gratuitement à d’autres administrations), il y a engagement de fournir un bien ou un service.
Dès lors que l’action, le projet ou l’activité est initiée par un acheteur public, c’est qu’il cherche à satisfaire un besoin : il y a prestations individualisées répondant à un besoin.

Le bénéfice (concourant la satisfaction du besoin) retiré par l’autorité publique qui accorde la subvention ne nécessite pas d’être un intérêt économique (au sens large) direct.
Dans cette affaire, la CJUE va plus loin. Le bénéfice retiré est ici indirect : les prestations subventionnées sont réalisées pour atteindre des objectifs d’intérêt général fixés par la région, même si ce n’est pas elle qui bénéficie de la prestation (fourniture de médicament).

L’article 7 de l’ordonnance « marchés publics », combiné à l’article 9-1 de la loi du 12 avril 2002, devra s’interpréter en ce sens.